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Dentiste-peintre ...


Pascal Schneider

... un métier qui déçoit

Dans une vente sur offre récente, j’ai misé et obtenu un lot d’Helvetia Debout dont deux étaient illustrées dans le catalogue.

Il s’agissait de deux 40 cts gris avec leur dentelure «grossière» aisément reconnaissable, mais triplement difficile : difficile pour les utilisateurs d’il y a 133 ans qui se plaignaient de ne pas pouvoir séparer aisément ces timbres aux trous trop espacés et qui massacraient souvent de nombreuses dents pendant cet exercice ; difficile pour les collectionneurs contemporains peinant à dénicher des exemplaires avec une dentelure complète ; et difficile pour les faussaires qui déploient leurs astuces pour rendre bonne apparence à une multitude de timbres mutilés. De ces deux timbres de 40 cts, l’un n’était pas «digne d’être collectionné», mais l’autre présentait une dentelure au-dessus de la moyenne pour cette émission et, avec son oblitération un peu légère et propre de Chiasso 29 XII 90 – 9, qui nous rappelle qu’on devait travailler tard dans ce bureau puisque le 9 en chiffre arabe indiquait 9 heures du soir (fig. 1).


Fig. 1: Un 69B légèrement oblitéré de Chiasso 29 XII 90 – 9 avec une très bonne dentelure pour cette émission.

La manie de vouloir plancher les timbres ... 
Il est probablement utopique de pouvoir un jour reconstituer la planche d’impression Ib de 200 cases ayant servi à imprimer les timbres 69B (justement ce 40 cts aux grosses dents) et une partie des 69A, tout d’abord car on trouve très peu de repères d’impression spécifiques à une case donnée sur ces timbres de 40 cts que l’on peut qualifier de plutôt ennuyeux, et aussi parce qu’on se demande comment accumuler les 800 69B nécessaires pour avoir une chance statistique de couvrir l’ensemble des 200 cases. Mais le plus sûr moyen d’échouer dans cette entreprise, c’est de ne pas commencer, d’autant plus que cette émission met à disposition du candidat un atout considérable : la grande irrégularité de la herse ayant servi à la perforation de tous les timbres de 20, 25, 40 et 50 cts et 1 Fr. avec les grosses dents. Cette herse qui perforait 100 timbres à la fois laissait sur chaque timbre une signature indélébile de sa position originale dans la feuille de 100. Cette signature, c’est la dentelure qui, avec ses dents plus ou moins larges ou étroites et ses trous à l’alignement plus qu’approximatif, n’est jamais identique d’une case à l’autre. Encore faut-il pouvoir répertorier ces 100 cases de la herse ! On peut y arriver en étudiant quelques grandes unités qui sont parvenues jusqu’à nous, dont une feuille de 50 exemplaires du timbre de 1 Fr. oblitérée de Thun 28.IV.90, qui liquide d’un coup la moitié du travail (fig. 2).


Fig. 2: Une demie-feuille de 50 timbres du 71B oblitérée Thun 28.IV.90. Malgré quelques défauts et taches, elle contient l’information sur la dentelure de la moitié de la herse ayant servi à perforer toutes les Helvetia Debout avec la dentelure des «grosses dents». 

Un cas peu clair dans sa partie gauche qui est trop claire 
Or donc, au travail pour identifier la case de herse ayant perforé le 40 cts de Chiasso. Cependant, ce timbre refuse de correspondre à aucune des cases de la herse, ni en position «normale», ni en position «renversée». Ce n’est qu’en ignorant les trous du côté gauche qu’on finit par identifier sans aucune ambiguïté la case 72 de la herse. Comme il s’agit de l’une des cases qui a aussi servi à perforer le bloc de 50 de Thun, on peut utiliser un programme de traitement d’image pour superposer le verso du timbre de Chiasso en position normale (perforé par la case 72 de la herse) et le verso du timbre 29 de Thun en position renversée (aussi perforé par la case 72 de la herse) pour bien laisser apparaître la dentelure. Cette opération fait que le côté gauche se retrouve maintenant à droite (fig. 3). On constate alors facilement que la correspondance de la dentelure sur trois côtés est parfaite mais que la perforation à droite sur l’image ne correspond pas du tout. Elle ne correspond d’ailleurs à aucune des 100 cases de la herse. Le cas est donc clair, ce timbre a passé chez un «dentiste» qui a généré de grosses dents au hasard pour réparer le côté gauche du timbre. D’ailleurs, on aperçoit au verso du timbre une bande verticale à droite, où le papier est un peu plus clair que sur le reste du timbre : c’est la cicatrice laissée par l’ajout d’un morceau de papier qui n’appartenait pas au timbre original et qui a été perforé sans respecter la position des trous
d’origine (fig. 3). Mais alors, si du papier et une dentelure toute neuve ont bien été greffés sur ce timbre, comment expliquer que l’oblitération qui passe en plusieurs endroits sur ce côté du timbre soit complète ?
La réponse vient d’une observation attentive avec un bonne loupe. La couleur et la texture de l’encre de l’oblitération changent subitement sur le bord du timbre. Notre dentiste qui était aussi «artiste-peintre» a redessiné l’oblitération sur le papier fraîchement rajouté et il ne reste plus d’alternative à la conclusion d’un timbre réparé (fig. 4).
Épilogue
Une demande dument étayée à la maison de vente pour obtenir un rabais sur le lot n’a pas été entendue ; la clause de non-réclamation sur les lots de plus de 2 pièces a été appliquée. Ce timbre a donc été marqué définitivement comme réparé … mais je le conserve car son image contient quand même les repères véritables de l’une des cases 72 de la planche Ib.cases 72 de la planche Ib.


Fig. 3 : Ã gauche, le verso du timbre 69B de Chiasso illustré à la figure 1, avec une bande plus claire de papier rajouté sur le côté droit. Au centre, le verso du timbre 29 du bloc de Thun de la fig. 2 en position renversée, perforé par la même case de herse que le timbre de Chiasso. A droite, la superposition des dentelures prouve la réparation du timbre de Chiasso sur le côté indiqué par les flèches rouges.


Fig. 4 : Détail de l’oblitération sur le bord gauche du 69B oblitéré de Chiasso. Le chiffre 1 et les flèches bleues montrent l’oblitération originale. Le chiffre 2 et les flèches rouges montrent les fragments de l’oblitération peintes après coup sur le nouvel ajout de papier.